Histoires précédentes

Plusieurs précédents historiques viennent à l’esprit qui pourraient aider à contextualiser nos questionnements actuels:

Aujourd’hui, le débat au sein de l’EESAB Brest démontre une réticence face à l’aventure des Fab Lab, qui semble s’orienter vers un futur entièrement informatisé, robotisé alors que les étudiants sont loin de mâitriser ne serait ce que les bases des techniques de représentation traditionnelle (dessins, maquettes etc.). Prenons nous le temps de définir nos compétences manuelles en ignorant totalement ces pratiques émergentes ou tentons nous d’incorporer celles-ci et de réflechir à un mode de pratique contemporain qui les prend en compte et tente également d’assurer le savoir faire de ses étudiants?

Par ailleurs, à l’EESAB, le manque de structure théorique autour des pratiques assumées « bidouille » et la destruction de la notion de paternité artistique avec l’Open Source semblent rédibitoire. Bidouille (ou bien bricolage) sont des actes de réflexion manuelle qu’on doit incorporer dans notre pratique avec plus de flexibilité et de valeur, si on se rappelle la définition de Claude Lévi-Strauss.

Quant à la perte de paternité face à l’oeuvre dans les environnements participatifs, notre société actuelle est en plein dans le débat (avec la loi Hadopi, les logiciels Open Source) et celà mérite une réelle étude de cas existants, tant du point de vue économique qu’intellectuel. Une reflexion comme l’ont faite Walter Benjamin, Theodor Adorno etc. avant nous vis à vis de la remise en question de la notion d’unicité et authenticité face à la reproductibilité mécanisée, nous permettra de bien cerner ce qui nous arrive inexorablement.

Les divers mouvements face à la révolution industrielle: Arts & Crafts vs. Modernistes?
Le Mouvement Arts & Crafts

La révolution industrielle du 19e siècle a soulevé des débats parmi des professionnels, critiques et théoriques des arts et métiers. Lors de l’Exposition Universelle de Londres en 1851 certains cercles ont exprimé une grande déception sur la qualité de la production industrielle exposée. Cette déception aurait motivé William Morris à créer le Mouvement « Arts & Crafts »:

« L’ Exposition des travaux de l’industrie de toutes les nations, 1851 (Également connu sous le nom de l’exposition de Crystal Palace)  montre avec fierté les bénéfices de la révolution industrielle de la classe supérieure anglaise. Le Prince Albert (époux de la reine Victoria) a organisé une vitrine pour la technologie industrielle moderne et design. Angleterre et un certain nombre de pays invités ont présenté leurs réalisations dans quatre catégories: matières premières, machines, fabricants et les Beaux-Arts.  L’exposition a été un succès populaire, mais les avis critiques n’étaient pas très élogieux vis à vis des exposants. Les critiques ont trouvé l’œuvre créée par des méthodes industrialisés d’être de mauvaise qualité et mal conçue, pleine d’ornements superflus qui ne favorisent pas le produit. La propension victorienne pour plus de décoration avec un méli-mélo de styles indépendants a été ridiculisé comme symptomatique d’un surplus insipide de la société capitaliste. » ( Extrait de The Great Exhibition of 1851: A Nation on Display de Auerbach)

Les créateurs comme William Morris souhaitaient pour les artisans de revenir à des techniques de production traditionnelles estimant que cela permettrait d’améliorer la qualité de leur production.

L’école Bauhaus

Cependant, de nombreux designers ont réalisé que la production mécanisée de commodités était inévitable et que les idées de Morris n’étaient plus applicables . Le Bauhaus a contribué au développement d’un nouveau style qui reflète les valeurs et les processus de production de la machine. Ce style est souvent désigné comme la « machine » ou esthétique  » industrielle  » .

Le Bauhaus était une école de design allemande fondée en 1919 par Walter Gropius . Le nom Bauhaus traduit à peu près comme l’architecture ou de construction de maison . L’école a regardé vers le monde de l’art , où les artistes cubistes – Picasso , Braque et Gris – réduisaient les objets à leurs plus simples formes géométriques – cônes , cubes, sphères , etc.  Les designers du Bauhaus ont commencé à abordé les objets de la même manière . Ils ont apprécié que la réduction des objets à leurs composantes essentielles était une bonne stratégie pour produire en masse des biens de consommation . Ce fut la solution du Bauhaus pour créer un environnement épuré dans une ère technologique .

Pour permettre aux concepteurs du Bauhaus de fabriquer des commodités à partir des composantes de base, ils ont développé un style propre et simple en utilisant des formes abstraites , géométriques et angulaires . Ces formes étaient inspirées par les machines modernes – roues , pistons et autres éléments mécaniques . Le principe d’application de l’imagerie industrielle sur l’architecture et le design intérieur était en opposition  avec les courbes et la décoration inspirée de la nature des mouvements Art nouveau et Arts & Crafts . L’ésthétique austère du Bauhaus et son partenariat avec la technologie ont symbolisé et dominé l’architecture et le design avant-gardiste .

Le Bauhaus a encouragé l’utilisation de nouveaux matériaux, dont l’acier tubulaire , le béton , le verre et le contreplaqué . Les concepteurs ont permis à la structure et la construction de leurs conceptions finies de dicter leur apparence extérieure – à tel point qu’ils considéraient leurs conceptions  » sans style « . De là, à l’affirmation de l’architecte américain Louis Sullivan que la forme suit la fonction.

L’enseignement au Bauhaus se basait sur une pensée progressiste et avant-gardiste.  L’école employait de nombreux grands artistes et architectes européens- comme Marcel Breuer et Mies van der Rohe – et son but était de former des designers à travailler dans l’industrie.  Cette réforme de l’enseignement du design signifie que le temps des étudiants du Bauhaus était partagé entre l’enseignement sur  les principes du design et du temps passé dans les ateliers d’artisanat où ils devaient acquérir des compétences dans le travail sur un matériau particulier de leur choix . (http://bauhaus-online.de/en/atlas/das-bauhaus/idee/bauhaus-dessau)

La notion d’authenticité  face à la reproduction mécanique

Aujourd’hui la notion de paternité dans le sens de proprité intellectuelle et de droits d’auteurs est mise en branle par la culture Open Source. En 1936, la remise en cause de l’authenticité et l’aura d’une oeuvre face à sa reproductibilité mécanique a suscité autant de débat entre les hisoriens et théoriques de l’art, notamment Walter Benjamin et Theodor Adorno.

[ Dans son ouvrage,  « L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée », Walter Benjamin]  « reprend à son compte le débat qui agite alors les historiens de l’art allemands sur la survivance de l’art au temps des moyens de reproductions mécaniques en étudiant la manière dont l’intégrité de l’œuvre se trouve ainsi modifiée, voire menacée. Il montre qu’en passant par le filtre de la reproduction standardisée, qu’il oppose à la copie manuelle, l’œuvre d’art perd son caractère d’objet unique, rendant ainsi caduques les notions d’original et de copie, et qu’à la valeur de culte de l’œuvre, la photographie substitue la valeur d’exposition qui devient toute-puissante. Ce texte important thématise l’entrée de l’art dans une ère nouvelle, qui voit l’œuvre perdre à la fois son caractère d’unicité et ce que Benjamin appelle son « aura ». C’est ce concept d’aura, que Benjamin inaugura en 1931 dans La Petite Histoire de la photographie, et qui apparaît ici sacrifié au profit d’une image devenue politique dans l’Europe des années 1930, qui donne à ce texte tout son poids ». (Extrait de  l’article universalis à ce sujet de )

En défense de la notion de Bricolage comme activité intellectuelle ou réflexion manuelle.

Vis à vis du questionnement au sein de l’EESAB sur les pratiques un peu bricolage des Fab-Labs, le point de vue de Claude Lévi-Strauss pourrait apporter un regard plus ouvert et constructif sur ces modes de pratiques.

« Une forme d’activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet aussi bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, pût être une science que nous préférons appeler « première » plutôt que primitive : c’est celle communément désignée par le terme de bricolage. » (Extrait de La Pensée Sauvage » de Claude Lévi-Strauss,  1962)

En conclut, Marielle Magliozzi dans: « Art Brut, Architectures marginales Un art de bricolage » que les deux définitions:

« travail intelectuel non soumis à des règles théoriques » […] et « travail dont la technique est improvisée, adaptée aux matériaux, aux circonstances »  évoquent les notions qui caractérisent le bricolage: la contingence comme moteur de la création, l’improvisation comme outil de travail. Mais elles induisent également une dimension toute nouvelle, celle d’un travail intellectuel. C’est cette notion qui permet de considérer le bricolage comme réflexion et finalement création. […] Si le bricolage est indissociable de l’improvisation et de la prise en compte de la contingence, il n’est pas pour autant un acte irréfléchi, irraisonné, dont les seules motivations seraient des besoins primaires. C’est un « travail intellectuel » qui implique incontestablement l’idée que l’action de bricoler est le résultat d’une démarche raisonnée et concertée mais non soumise à des règles théoriques. »

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